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Gore, WIP et GPPLP

Chez Roubi’s, moins on en fait, mieux on se porte. D’ailleurs on se porte pas trop mal, faut avouer. Du coup ça laisse un peu de temps pour la lecture… Et là qu’on vient tout juste de boucler la rétrospective Playboy en six volumes des éditions Taschen, on tombe pas du tout fortuitement sur l’ouvrage « Gore – Dissection d’une collection » du camarade Didelot, président directeur général des bisseux de « Vidéotopsie » et Gemserophile notoire. Et ça fait un peu bizarre de l’avoir en main ce livre, parce que ça fait tellement longtemps qu’on en entend parler…
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Certes, David évoquait régulièrement dans les éditos de son fanzine son ambition de plancher sur un pavé de la sorte ; mais on sentait le gars fatigué rien que d’y penser. Et on le comprend ! On le comprend d’autant mieux que si tout un chacun était un peu plus fatigué à l’idée de « faire des livres », Guillaume Musso serait toujours prof’ de sciences économiques et sociales dans sa Lorraine de mes deux.
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Mais alors, me direz-vous : « C’est quoi t’est-ce que ça cause son bouquin, et Pourquoi ? ». La collection « Gore », qui fut éditée par Fleuve Noir dans le courant des années quatre-vingt jusqu’au début des ’90s, avait la particularité d’une littérature totalement thrash et déconnante, au mépris de toute forme de convenance morale, au mépris de toute forme de bienséance lexicale, au mépris de tout sens esthétique aussi. Autant le dire dru, on n’est pas chez Néruda lorsqu’on a remis les mots de « L’équarrisseur de Soho » dans le bon ordre. Mais c’est culte, c’est sympa, ça a traumatisé un maximum de gamins bullant dans les rayons Leclerc de l’hexagone, et, surtout, ça se laisse constamment aller au ouatedefeuque le plus total, jusqu’à l’absurde, en passant par le franchement dégueulasse, la syntaxe en roue libre ajoutant encore à l’outrage intellectuel.
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On en atteste, aujourd’hui encore un truc comme « Dunes sanglantes », c’est complètement crado. Juste à la limite du vomitif.
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Mais alors, renchérirez-vous : « Qu’est-ce qu’on en a à foutre ? et Quel rapport avec la pineupe nymphomane ? » Justement, aucun ! Même en cherchant bien, que dalle ! Si ce n’est qu’en compulsant l’iconographie de la très belle Anthologie de Didelot, on est assez stupéfait de noter à quel point les illustrateurs de la collection incorporaient à ses couv’ un maximum de références filmiques pop et… Gore ! Ainsi on les écarquille bien grand devant la tronche d’un Freddy Krüger frenchy esquissé sur le premier plat de « L’éventreur », de ses menottes d’acier d’ « Hurlement n°2 », d’un simili fac-similé du streumon de Basquet Case sur celui de « L’équarrisseur de Soho », d’une biatche qui pose Nekromantik2 sur « L’état des plaies », Réanimator et sa suite à toutes les sauces sur « Cauchemars de sang », « Neige d’enfer », etc. etc. etc… Et puis la gonzesse pendue par les pieds sur « La mort noire » de Christian Vilà*. Cette pépée, il n’est pas un bisseux qui n’ait croisé sa verticalité inversée au moins une fois dans un vidéoclub, sur une affiche de ciné ou aujourd’hui sur le ouèbe. C’est simple, elle est partout !
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« Quand on achète un livre, on achète aussi le temps qu’on passe à le lire, on achète aussi du temps pour soi ». J’ajouterai que la fonction première d’un ouvrage devrait être de nous inciter à s’en évader textuellement afin de pouvoir tirer profit de ce qu’il nous suggère intellectuellement. De la réflexion, quoi ! Par exemple, l’autre jour je lisais pour la première fois « planchéiée », pour désigner une pièce dotée d’un plancher. Et bien une plombe plus loin j’étais toujours incapable de me concentrer sur la suite des aventures de Rouletabille, l’esprit accaparé qu’il était par mon « planchéiée » ! Tout pareil avec le roman de Leroux qu’avec l’ouvrage de Didelot ; un mot, une image, amène à une dérive de la pensée, à une réflexion, justifiée, justifiable ou pas … Et c’est ainsi qu’en zieutant la repro’ de l’artwork du volume susmentionné de Vilà dans celui pré-susmentionné de Didelot, de fil en aiguille, je me suis retrouvé à faire le lien avec l’affiche du Gemser carcéral de King Mattei « Violenza in un carcere femminile », elle aussi radicalement gonzesse pendue par les pieds friendly !
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D’où ma question aux instances dirigeantes Chez Roubi’s : « Peut-on rester sans rien faire ? Doit-on juger sans savoir ?…» Alors je préfère vous prévenir tout de suite, ne faites sous aucun prétexte la recherche « Femme pendue par les pieds » dans Google Image. C’est pas cool du tout ! Non, ce qu’il faut faire c’est taper « SS Experiment Love Camp » ou «  Lager SSadis Kastrat Kommandantur »… Et soyez précis dans l’orthographe sinon on s’en sort pas !
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« Lager SSadis Kastrat Kommandantur » (1976) : Le top du top de l’affiche de gonzesse pendue par les pieds. Tout y est , la force tranquille du nazi, l’oisiveté féminine, la symbolique crucifixion inversée, cette géniale tricherie de l’artiste sur la perspective du grillage en arrière plan, le barbelé qui semble délimiter le camp des possibles du zinzin germain, sa victime comme perdue entre deux mondes, bref ! on peut chercher des plombes, on trouvera pas mieux.
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Chaque élément est lisible au premier coup d’œil, tout est puissance, jusqu’à ce « S » zébré, écarlate, structurant une typographie promesse de chaos, soit LA quintessence du genre GPPLP. Du coup, on tire un peu la tronche devant la jaquette de l’édition VHS britannique. On sent bien que les gars, le montage photo d’Aller, ça les branchaient pas mal dans le fond, mais qu’au niveau de la forme ça manquait une plume de sexy par rapport à l’idée que se faisait l’éditeur d’un camp de concentration… No problème, on sort la gouache et on tartine. Close up sur l’alboche, string circa 1944, épilation laser, une insensée gourmette à svastika et on attaque le fond bleu qui rend aveugle.
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Restons dans l’anti-classe, mais l’efficace, avec l’affiche d’une production Eurociné exploitée sur le territoire espagnol en 1981 sous le titre « Campo de perversion » – En fait « Nathalie rescapée de l’enfer » d’Alain Payet (1978) – et qui, dans un élan bourrin de toute beauté, ajoute à la scène de flagellation du film de Payet, reproduite sur la partie gauche de l’affiche, la pendue d’Aller , que là encore on percute recta qu’on n’est pas chez Trigano. Mais on comprend aussi rapidos que ça coince une ch’touille au niveau de la crucifixion de la mousmée. Que ce soit afin de ménager les sensibilités (hum !) ou par simple souci de lisibilité graphique, l’illustrateur décide de courber le bras gauche de la suppliciée vers le bas. Et marque ainsi de son empreinte la grande Histoire de l’affiche GPPLP. Pas moins.
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Il existe à notre connaissance deux séries d’affiches italiennes illustrant le film « Violenza in un carcere femminile ». Celle qui nous intéresse ici reprend à son compte le fric-frac de l’artwork de  « Campo de perversion ». S’agit-il du même artiste ? C’est possible mais nous ne parierons pas nos SMIC horaires dessus. En revanche, le naveton de Mattei prit d’assaut les écrans italiens fin 1982, et les salles Françaises l‘année suivante. Pour un copié-collé, on est large. De l’affiche espagnole du film de Payet, il apparait dans celle « Violenza…» non pas un, mais deux repiquages : La GPPLP au bras courbé et le soupirail barreauté. (Le barreau étant, dans la salle comme à l’écran, un élément indispensable à tout WIP qui se respecte.) Nous y ajouterons une demi-douzaine de rats affamés afin de calmer les ardeurs érotomanes et d’aiguiser l’attention des psychopathes. Nous noterons enfin que la plus part des nombreuses éditions VHS (puis DVD) à venir, utiliseront d’une façon ou d’une autre des éléments de cette affiche pour illustration. Sauf en France !
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Ben non, chez nous une femme pendue par les pieds, on n’a pas vu ça depuis la libération. Autant en Espagne c’est le national catholicisme, autant en France c’est le respect de la femme et les droits de l’Homme ! Le respect de la femme, les droits de l’Homme et les deux mains carrées dans le cul trente-cinq heures par semaine ! Bon, là on était en 83, mais même sans les trente-cinq heures, tu mélanges le reste en gardant les grumeaux et t’es à peu près sûr d’obtenir l’affiche de « Pénitencier de femmes » ! A ce stade d’incompétence, je n’arrive même plus à déterminer si le plus embarrassant est que l’on puisse penser pendre une gonzesse par les pieds dans le mauvais sens sur une affiche sans se faire griller, qu’on lui cloque sur le cul une nuisette manufacturée  Téléthon Incorporated, ou que tout ceci soit français… Putain, une nation ça se respecte, merde ! Et puis elle est sensée faire quoi la meuf’ ? Du pole dance ? Fort heureusement, quoi qu’il arrive c’est toujours pire en Espagne. Déjà la bouffe c’est pas de pot, mais cette jaquette Betamax de « El comisario G. (El caso del cabaret) » (1975), là vraiment…
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Gore – Dissection d’une collection : ICI

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(Isa Roth & Steeve Paloma – Sept.2014)