Ouf! Je m’extirpe tout juste de la pénible lecture d’un article sur Gemser façon: « La tragique histoire de… ». Ah, faut du tragique ! C’est la base le tragique, si t’en n’as pas dans ta bio tu fais chier tout le monde ! Là je vois, Grasset vient de sortir un bouquin sur Laura Antonelli rédactionné par un rédactionneur rédactionnant habituellement dans le domaine du cyclisme pour le journal L’Équipe (Le mec est effectivement en roue libre tout du long); ben ça loupe pas, sur le site de l’éditeur, histoire que t’hésites pas à passer à la caisse: « Philippe Brunel livre ici un roman plein de grâce et d’ombre (…) sur l’histoire légendaire de la femme la plus belle du monde devenue un monstre ». Je sais pas pour la grâce, mais sur l’échelle de la pute, tu peux rajouter un escabeau ! Pareil, y a de ça quat’-cinq ans, un géopolitologue cette fois, qui nous sort « Pornification », soit sa vision toute personnelle d’une biographie de Karin Schubert, écrite pathos dans le rouge et bite à la main: « On aime sa blondeur, on aime ses seins, on aime ses fesses, et le temps passant elle comprend qu’on n’aime que ça. Comme il faut bien vivre, elle accepte de se cantonner aux rôles dénudés. De plus en plus dénudés. De plus en plus explicites. De l’érotisme chic, elle sombre dans le porno cheap. C’est la pornification. » Tadaaaaa ! Et puis surtout, ce passage sublime où le gars dénonce: « Internet est une arrière-boutique où l’on montre des saloperies sous le manteau. Il exhibe ainsi les mensurations de Karin Schubert comme on donnerait le poids et la race d’une vache ou d’un bœuf à un comice agricole » Mazette ! Le mec est in love de Karin Schubert ! Son bouquin, il l’a écrit comme on exprimerait son dégoût d’un amour souillé ! Bon, si Loulou avait passé un peu plus de temps à bosser dans l’arrière-boutique, il aurait pigé que Schubert faisait du porno bien avant de tourner avec Oury, et que sa « déchéance » n’était en somme qu’un retour à la case départ, mais qu’importe ! Sa vérité, c’est que ce sont les autres les responsables des choix de Schubert, et c’est la seule chose qui compte… Idem pour l’article sur Gemser, c’est la même soupe qu’on nous sert à chaque fois, à base d’exploitation, de rêves brisés, de films orduriers et d’innocence perdue. Rendez-vous compte, elle voulait faire du Cinéma, et on l’obligeait à tourner nue ! Peut-être même à des fins masturbatoires, on sait pas… Bref! Tout ceci n’aurait aucune espèce d’importance si ces informations, toutes aussi péremptoires les unes que les autres, n’étaient reprises telles quelles, bien souvent assaisonnées de verbatim dénués de sources et de contextes, par des loupiots kiffant plus les historiettes Twitter que les faits. Et en ce qui concerne Gemser, les faits sont sans appel: En interview, entre deux questions à la con, elle répondait à peu près n’importe quoi. Un coup qu’elle est née en Indonésie, un coup qu’elle est née en Hollande. Qu’elle veut arrêter de tourner nue, mais qu’elle continuera jusqu’à ce qu’elle soit trop vielle pour ça. Qu’elle préserve farouchement sa vie privée des journalistes, mais qu’elle tape la pose avec un Tinti nous détaillant ses formidables qualités de ménagère… A sa décharge, il faut préciser la nullité crasse de journalistes qui osent clairement tout, de ses orientations sexuelles à son signe astrologique, en passant par le montant de ses cachets; l’un d’entre-eux la confondant dans son introduction avec… Lilli Carati ! Ci-dessous, un petit florilège d’entretiens – souvent très brefs – parus dans la presse espagnole entre 1978 et 1979. Plus pour le fun que pour l’info, il va sans dire…
[Avant-propos] Consécutivement au décès du Général Franco en novembre 1975, et de la transition démocratique qui s’en suit dans le pays, la censure politique et morale espagnole régissant, notamment, la diffusion cinématographique sur le territoire, prend un sérieux coup dans l’aile. En novembre 1977 une législation provisoire sur le cinéma est promulguée en attendant le vote du Parlement, permettant ainsi la large diffusion de films jusque-là interdits. Dès janvier 1978, c’est la fête du slip. Les salles espagnoles sont abreuvées de productions érotiques jusqu’à plus soif, et, dans le domaine qui nous concerne, les films de la série Emanuelle negra sortent cul à cul sur les écrans, restant de nombreuses semaines à l’affiche, catapultant ainsi Gemser grande vedette de la galipette exotique. De janvier à décembre de cette année de folie, notre batave préférée (Après Rembrandt, faut pas pousser…) sera à l’affiche de pas moins de huit films sur le seul circuit barcelonais: « Emmanuelle 2 », « Emanuelle negra », « Emanuelle negra se va al oriente », « Emanuelle alrededor del mundo », « Emanuelle y los ultimos canibales », « Emanuelle y el imperio de la pasiones », « Dos súper-policías », ainsi que « La mujer de la tierra caliente » de José María Forqué. Quand à la presse nationale, ça n’arrête pas ! On parle d’elle chaque semaine, ou presque, tant dans les hebdos généralistes (Semana, Fotogramas, …) que dans les publications spécialisées (Yes, Interviu, Garbo, Party, Vale…); le point d’orgue de son vedettariat ibérique étant atteint lors de la venue de l’actrice à Barcelone en décembre 1978 pour le tournage du film « El Periscopio », réalisé par José Ramón Larraz.
PARTY n°60 – 5 juin 1978:
On a dit de Laura Gemser qu’elle était la Claudia Cardinale noire, leur ressemblance étant évidente, mais peut-être cette comparaison était-elle dû à sa liaison avec Franco Cristaldi, précédemment marié à Cardinale. Elle a par la suite tourné dans le film Black Emanuelle, qui fut un gros succès, puis les offres de rôles au cinéma de plus en plus nombreuses, mais toujours dans des productions érotiques. Aujourd’hui Laura a un nom qui compte, et veut commencer à travailler pour un autre type de cinéma:
– Je sais que j’ai un beau corps, et que la plupart des actrices sont engagées pour leur physique, mais j’ai déjà prouvé que je peux faire du cinéma. Maintenant, j’aimerais pouvoir aborder d’autres choses et que le sexe ai moins d’importance dans mes films. Je ne suis pas contre l’érotisme, il me semble que c’est très bien, mais le cinéma ce n’est pas que ça, c’est plus diversifié, et c’est ce à quoi j’aspire.
Pour cette raison, elle a refusé plusieurs offres de films trop semblables à Black Emanuelle. Laura ne veut pas être cataloguée:
– Silvia Kristel commence à être prisonnière du personnage d’Emmanuelle, et bien que je reconnaisse que ce sont de beaux films, une actrice ne saurait être qu’un unique personnage; parfois cela peut représenter un risque, surtout si le film a eu du succès.
En ce qui concerne Franco, son ancien compagnon, Laura préfère ne pas aborder le sujet. Elle veut garder sa vie privée à l’écart de sa vie professionnelle, et défend son intimité des journalistes indiscrets.
– Ça n’a aucun intérêt de savoir qui partage sa vie avec moi. La seule chose que je peux dire, c’est que je suis heureuse et que j’espère que ça va continuer comme ça longtemps, car la stabilité émotionnelle affecte aussi l’activité professionnelle; tu travailles mieux et plus à l’aise quand tu es heureux, comme je le suis actuellement.
GARBO n°1336 – 6 décembre 1978:
Qui êtes-vous Laura ? D’où venez-vous ?
– Je suis née en Indonésie, plus exactement sur l’île de Java, mais je suis de nationalité hollandaise. Je me considère hollandaise.
Comment a débuté votre aventure dans le cinéma ?
– Tout a commencé alors que j’étais mannequin à Amsterdam. Je posais pour des magazines lorsqu’un réalisateur a vu mes photos. Il m’a aussitôt contacté pour un rôle.
Quel était le film ?
– Amour Libre. [Amore libero – Free Love: ndt]
Vous ne tournez que dans des films érotiques ?
– Non, j’ai interprété des rôles d’ingénues dans des films d’aventure destinés aux enfants.
Quel est votre signe astral ?
– Bélier.
Quel est votre état civil ?
– Je suis mariée à l’acteur italien Gabriele Tinti. Nous nous sommes rencontrés sur le tournage du premier Black Emanuelle, dans lequel il avait un rôle. Nous sommes tombés amoureux et nous nous sommes mariés.
Emanuelle passe son temps à faire l’amour. Vous vous identifiez à son personnage ?
– Non, dans la vraie vie je ne suis pas comme Emanuelle.
Dans quelle mesure les femmes vous intéressent-elles ?
– Elle m’intéressent en tant que personnes et en tant qu’amies.
Que faîte-vous avec l’argent que vous gagnez ?
– Je voyage, je fais du shopping…
Où vivez-vous habituellement ?
– Avec mon mari, à Rome. Mais ma famille est en Hollande, mes parents, mes frères et sœurs sont tous hollandais.
SEMANA n°2026 – 16 décembre 1978:
Laura Gemser (Emanuelle negra) tourne actuellement à Barcelone un film intitulé « Periscopio ». Alors que la production a interdit les interviews et les photographes sur le plateau, nous avons pris rendez-vous avec l’actrice à son appartement. Un homme d’âge moyen, amical et courtois, nous reçoit.
– Bienvenue ! Permettez-moi de me présenter, je suis le mari d’ « Emanuelle ».
C’est la stricte vérité, Laura Gemser est effectivement mariée.
– Et heureux de l’être, corrobore-t-il.
Gabriele Tinti, le mari, est un vétéran du cinéma italien qui a plus d’une dizaine de films à son actif.
– Nous nous sommes rencontrés en Afrique, durant le tournage d’ Emanuelle negra.
Combien d’années les séparent-ils ?
– 18 ans. Mais la différence d’âge m’importe peu. De plus j’aime les hommes plus âgés, précise-t-elle.
Êtes-vous fidèle ?
– Oui. La jalousie est mon pire défaut.
Gabriele hoche la tête et ajoute:
En bon italien, je suis aussi très jaloux. Je ne supporterais pas qu’elle me trompe.
Toute ressemblance avec les thèmes d’ « Emanuelle » ne serait que pure coïncidence…
Quel type de femme au foyer est Laura ?
– Une merveille. Elle cuisine, lave, coud, repasse… Nous n’avons besoin d’aucune aide car elle s’occupe de tout.
Désirez-vous des enfants ?
– Oui, mais plus tard, répond-elle. Actuellement je suis au meilleur de ma carrière et je ne veux pas me disperser.
Est-il vrai que pour chaque film, vous gagnez autant qu’on le dit ?
– Que dit-on ?
On parle de quinze millions de pesetas…
– Si c’était le cas, j’aurais déjà pris ma retraite afin de me reposer pour le restant de mes jours.
Vous devez beaucoup au rôle d’Emanuelle ?
– Tout.
Que faisiez-vous avant d’être actrice ?
– J’étais photo-modèle.
Est-ce un exercice ingrat de se dénuder dans des films ?
– Ça fait partie de mon travail, je m’y suis habituée.
Parlons de votre rôle dans « Periscopio »…
– J’ai le rôle d’une infirmière… Mais une infirmière très particulière. Elle passe son temps libre avec son amie (Barbara Rey) à traumatiser son jeune voisin.
Pensez-vous continuer dans le domaine de l’érotisme pendant longtemps ?
– Jusqu’à ce que je ne sois plus assez jeune pour le faire, ou que je sois devenue millionnaire…
Qu’en pense Gabriele ?
– Je pense qu’elle devrait continuer dans la profession… Je ne l’en empêche en rien.
Êtes-vous souvent séparés ?
– Non, nous ne nous séparons jamais. Même s’il faut pour cela refuser des contrats.
PRONTO n°346 – 25 décembre 1978:
Où êtes-vous née ?
– Je suis née à Utrecht (Hollande), mais ma famille est d’origine asiatique, c’est la raison de ma couleur de peau.
Combien de films avez-vous tourné ?
– Quatorze ou quinze je crois, mais en Espagne c’est le second. Le premier était La Mujer de la Tierra Caliente, dirigé par José Maria Forqué.
Quel est le titre de celui-ci ?
– Ça s’appelle El Periscopio, la sortie est prévue simultanément à Madrid et Barcelone pour la fin janvier, début février.
Quelle sensation vous procure le fait de tourner avec un enfant comme Angel ?
– Il est beaucoup trop jeune pour me procurer quelque sensation que ce soit; et puis le film n’est pas très osé. De plus Angel est doublé pour les deux seules scènes qui pourraient paraître risquées vis-à-vis de la censure.
SEMANA n°2074 – 18 novembre 1979:
Vous avez d’autres films d’Emanuelle en préparation ?
– Non, rien de ce type. Je n’accepte plus de me dénuder.
Pourquoi ?
– Tout simplement parce que je pense que tout a une fin.
Laura Gemser est une femme intelligente, qui sait que le filon que représente son petit corps d’ébène a tendance à s’estomper, et qui commence déjà à envisager son avenir loin des caméras et des projecteurs.
– Mon rêve ? Reprendre un jour les études de médecine que j‘ai dû interrompre.
A l’heure où nous lui parlons, Laura parle cinq langues, elle étudie l’archéologie et suit des cours de pharmacopée.
Que devez-vous au personnage d’Emanuelle ?
– La célébrité et une confortable situation économique.
Au contraire, que lui reprocheriez-vous ?
– D’avoir conditionné mon travail d’actrice.
[Trad. A.R]